Pourquoi valoriser une biotech est un exercice à part

Comment valoriser une biotech sans chiffre d’affaires ? Cet article explore pourquoi le rNPV est devenu un outil essentiel dans l’évaluation de ces entreprises, et en quoi il surpasse le DCF classique dans un secteur dominé par l’incertitude.:

Sony CLEMENT

5/24/20256 min read

a man riding a skateboard down the side of a ramp
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Pourquoi valoriser une biotech est un exercice à part

Vous êtes-vous déjà demandé comment une entreprise sans aucun chiffre d’affaires pouvait valoir plusieurs centaines de millions d’euros ? Cette question, aussi contre-intuitive soit-elle, revient souvent dans l’univers des biotechs. Et pour cause : dans ce secteur, la valeur ne repose pas sur les ventes réalisées, mais sur les promesses contenues dans un pipeline clinique. Or ces promesses sont tout sauf garanties : un candidat-médicament en phase préclinique a moins de 10 % de chances d’atteindre le marché, et même en phase III, l’approbation n’est jamais acquise.

Longtemps, les analystes ont tenté d’appliquer les modèles traditionnels comme le Discounted Cash Flow (DCF), en supposant que les flux futurs se matérialiseraient. Mais dans un environnement où règne l’incertitude, cette approche produit souvent des valorisations irréalistes.

Face à cette impasse, une méthode alternative s’est imposée progressivement : une adaptation du DCF intégrant explicitement le risque d’échec clinique. Elle est aujourd’hui le standard chez les analystes equity, les fonds spécialisés ou les investisseurs institutionnels. Pourtant, cette méthode n’est pas une panacée. Elle éclaire mieux les incertitudes, mais ne les dissipe pas.

👉 Dans cet article, vous découvrirez :

  • Cette nouvelle méthode et comment elle se construit concrètement

  • Pourquoi cette approche est devenue incontournable dans l’analyse des biotechs

  • Et pourquoi ses limites imposent une lecture lucide et critique  pour éclairer les décisions, sans les aveugler.

Le rNPV: une évaluation pondérée par le doute

Le modèle dont il était question en creux dans l’introduction a désormais un nom : le rNPV, pour risk-adjusted Net Present Value. Il s’agit d’une adaptation du DCF, pensée spécifiquement pour les secteurs où l’incertitude clinique est la norme, comme la biotech ou la pharma early stage. L’idée est simple à formuler, mais puissante dans ses implications : plutôt que de supposer que tous les flux futurs auront lieu, comme le fait un DCF classique, le rNPV applique à ces flux une probabilité de succès clinique. En d’autres termes, on pondère chaque scénario de revenus par les chances qu’il devienne réalité.

Par exemple, une entreprise de biotechnologie développe un traitement destiné à une maladie rare, aujourd’hui en phase II de développement. Son marché cible est estimé à 2 milliards d’euros, avec une part de marché potentielle de 10 % à maturité. Le prix du traitement est fixé à 100 000 € par patient et la durée de protection commerciale post-autorisation est de dix ans. Dans cette configuration, le produit pourrait générer jusqu’à 200 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, avec une marge nette de 30 %. Une commercialisation est envisagée dans cinq ans. En appliquant une approche DCF classique, la valorisation actualisée du produit atteindrait environ 250 millions d’euros.

Cependant, ce scénario suppose que le médicament passera sans encombre les phases réglementaires restantes. Une hypothèse pour le moins optimiste. En intégrant une probabilité de succès de 30 %, représentative d’un produit en phase II, le calcul via rNPV aboutit à une valorisation bien plus modérée, autour de 75 millions d’euros. L’écart entre les deux méthodes est révélateur.  Tandis que le DCF classique reflète une projection théorique dans un monde sans risque, le rNPV, propose une lecture pondérée par le réel : celui de l’incertitude scientifique, réglementaire et opérationnelle. Cette différence de valorisation n’est pas marginale. Elle influence directement les décisions d’investissement, les négociations avec les partenaires industriels, ou encore la perception d’une entreprise sur les marchés financiers.

Pourquoi le rNPV s'impose chez les analystes et les investisseurs

L’exemple précédent illustre à quel point la méthode rNPV peut transformer l’évaluation d’un même actif: non en réduisant sa valeur à la baisse, mais en la replaçant dans un cadre de probabilité. C’est précisément cette capacité à modéliser l’incertitude qui a conduit le rNPV à s’imposer comme outil de référence chez les professionnels du secteur pharmaceutique.

De nombreuses sociétés cotées en santé affichent aujourd’hui une capitalisation de plusieurs centaines de millions, voire d’un milliard d’euros, alors qu’elles ne disposent encore d’aucun produit commercialisé. Dans ces situations, les approches traditionnelles fondées sur les multiples de résultats sont tout simplement inapplicables. La seule voie crédible pour estimer la valeur passe par une analyse fine du pipeline, pondérée par le risque scientifique et réglementaire.

C’est ce que permet le rNPV. Plutôt que de valoriser une entreprise sur ses performances passées, il la valorise sur ses perspectives, ajustées de leur incertitude. Une logique qui séduit aussi bien les analystes actions que les investisseurs institutionnels, les fonds de venture capital ou les banques d’affaires impliquées dans les opérations M&A du secteur.

Lors d’un rapprochement entre deux biotech, par exemple, le rNPV est souvent mobilisé pour estimer la valeur contributive de chaque pipeline, produit par produit. On le retrouve également dans les négociations de licensing ou de co-développement, où il permet à chaque partie de chiffrer, en amont du marché, la valeur actuelle d’un actif encore en phase de développement.

Plus largement, le rNPV s’est imposé comme un langage commun dans les cercles spécialisés. Il permet de comparer des projets très hétérogènes, qu’ils soient en phase précoce ou avancée, sur des marchés orphelins ou de masse, en les inscrivant dans un cadre rationnel, structuré et comparable. Plus qu’un modèle de valorisation, c’est un outil de dialogue entre finance et science.

Le rNPV n'est pas une boule crystal

S’il s’est imposé comme une méthode de référence chez les analystes et investisseurs santé, le rNPV n’est pas un outil infaillible.  En effet, comme tout modèle, il reste tributaire de ce qu’on y injecte,  et c’est là tout son paradoxe : il introduit le doute dans la valorisation, mais il repose sur des hypothèses qu’il est parfois bien difficile de justifier objectivement.

Prenons un produit en phase II. Doit-on lui attribuer 30% de chances de succès, comme le suggèrent certaines études sectorielles ? Ou 50%, sur la base de données internes plus optimistes ? La différence paraît modeste, mais elle peut doubler la valorisation obtenue. À ce niveau, le subjectif reprend ses droits, même dans un modèle présenté comme rigoureux.

Pire : il existe une tentation bien connue dans l’univers de la modélisation, celle de faire coller les hypothèses à l’histoire qu’on veut raconter. Ajustez légèrement la taille du marché, repoussez l’érosion post-brevet de deux ans, réduisez le taux d’actualisation d’un point… et un actif encore incertain peut se transformer en "blockbuster” apparent. C’est ce qu’on appelle un “modèle décoratif” : élégant, soigné, mais creux.

En réalité, le rNPV exige une discipline intellectuelle plus forte encore que le DCF classique. Il demande de documenter ses choix, de justifier ses probabilités, de s’exposer au débat critique. Ce n’est pas un simulateur à résultats prédéfinis. C’est un révélateur de scénario, qui ne vaut que par la rigueur avec laquelle il est construit.

Et même dans sa forme la plus honnête, le rNPV ne dit pas tout. Il ne capture pas ou mal la dynamique concurrentielle, la pression réglementaire croissante, les arbitrages de remboursement, ou encore la vitesse réelle de pénétration du marché. Il peut afficher une valeur théorique cohérente tout en ignorant les signaux faibles qui font ou défont une stratégie.

Le rNPV n’est donc ni un oracle, ni une vérité. C’est un point de départ. Une hypothèse chiffrée, un langage commun, un outil pour structurer la réflexion. Bien utilisé, il éclaire la décision. Mal interprété, il peut l’aveugler.

Conclusion

Le rNPV a ceci de précieux qu’il réintroduit dans la valorisation financière ce que tant de modèles négligent : l’incertitude. Dans un secteur où l’échec clinique est plus probable que le succès, il ne s’agit pas de pessimisme, mais de réalisme.

En pondérant les flux futurs par des probabilités de succès, le rNPV propose une lecture plus rigoureuse, plus responsable de la valeur. Il permet de traduire le potentiel en scénarios, plutôt qu’en certitudes. C’est ce qui en fait aujourd’hui un outil incontournable dans l’évaluation des biotechs, qu’il s’agisse d’un premier tour de financement, d’un rapprochement industriel ou d’une IPO.

Mais ce n’est pas une méthode magique. Le rNPV ne remplace ni la connaissance sectorielle, ni l’analyse stratégique, ni l’intuition forgée par l’expérience. Il ne dit rien du tempo concurrentiel, ni des effets de réputation, ni des jeux de pouvoir entre agences de santé et payeurs. Il chiffre ce qu’on peut chiffrer, mais ne modélise pas tout ce qui compte.

En d’autres termes, le rNPV n’est pas la réponse : c’est la bonne question, posée de façon méthodique. Il aide à structurer l’incertain, à justifier une décision, à dialoguer entre analystes, investisseurs et entrepreneurs. Mais comme tout bon outil, il doit être manié avec prudence, transparence, et sens critique.